encore malheureusement un accident qui a couté la vie à un pratiquant le 05 septembre dernier sur l'étang de thau, encadré par l'excellante école fil d'air (nombreux d'entre nous on fait leur première intiation chez eux).
voici le recit d'eric le responsable de cette école, pour qui je souhaite beaucoup de courage pour rebondir.
"Voilà 30 ans que j’enseigne ma passion de la glisse sur l’eau, cette passion qui animait aussi René : la mer, le vent, la navigation, la planche, la voile, le vol, le bateau, le multicoque… Il me faisait rêver par ses récits de navigation aux Bahamas… c’est vers d’autres paradis qu’il s’est envolé.
Je pensais avoir tout fait afin qu’il reste parmi nous pour partager cette passion, j’ai échoué.
Mes pensées vont avant tout à son épouse, ses enfants, sa famille, ses amis.
Ce lundi 5 septembre 2011 :
Moi, Eric Pelaprat, je prends en charge un groupe de 4 élèves à l’école Fil d’Air à Mèze sur l’étang de Thau, niveau « début waterstart, premiers bords », composé de René (76kg), Anne-Cécile(65kg), Benjamin(65kg), Fabrice(75kg).
La météo du jour annonce force 5 à 6 de NW sur toute la zone.
Je prévois 2 séances pour la journée : une première courte le matin pour identifier précisément les problèmes individuels de chacun et affiner les objectifs de chacun pour la séance de l’après midi.
A part Fabrice que j’avais encadré les jours précédents, je ne savais pas exactement les capacités des autres autrement que par ce qu’ils m’avaient exprimé. J’avais eu quelques mois auparavant René lors d’une séance partiellement validée pour cause de vent insuffisant, mais ne me souvenais plus de ses capacités ; il me dit naviguer sur un twin tip large et avec une aile en 15m2.
11h : départ sur la zone de décollage par vent de NW : l’anse des salins. Plan d’eau plat - vent offshore un peu turbulent - 4km d’espace libre sous le vent.
Le vent se révèle être conforme aux prévisions ainsi que les relevés en temps réel de la balise météo Fil d’Air située sur les parcs à huîtres au milieu de l’étang, soit 15 à 20nds.
Super Mario notre bateau (Europa 700 open, moteur 100cv Yamaha) au mouillage dans 50 cm d’eau sur le banc de sable, je décolle tour à tour personnellement les ailes du groupe, soit
9m2 Passion RRD avec surf Bic pour Anne -Cécile,
9,5m2 Kahoona Best avec Twin tip 160X44cm pour Benjamin,
11m2 Passion RRD avec surf Bic, pour Fabrice et enfin
11m2 Passion RRD avec Trax 140X45 pour René.
Les stagiaires partent dans l’eau avec leurs planches au bout du leash. Via leur casque qui supporte une radio, je dispense les consignes à chacun.
Je remarque qu’Anne-cécile a des difficultés à ramener la planche aux pieds à cause des difficultés à piloter d’une main sans regarder son aile.
Benjamin a du mal à gérer la puissance de son aile et sa planche part souvent en « peau de banane ».
Fabrice arrive à tirer ses premiers bords sans trop de difficultés.
René s’obstine à tendre les jambes et plier les bras en se cramponnant à la barre (typique de la pratique de la planche à voile) et envoie souvent trop de puissance, monte sur la planche en force, accélère trop vite, part en « peau de banane » ou gicle par dessus la planche. Lors d’une de ses envolées, il déclenche intempestivement le largueur, je réenclenche le largueur avec lui dans l’eau et il repart. Je ne cesse de le calmer à la radio car il envoie toujours trop de puissance pour monter sur la planche et ne fléchit jamais les jambes.
Il fait de multiples chutes jusqu'à ce que j’arrête la séance vers 13h.
Lors de la pause déjeuner je débriefe chacun et insiste plus particulièrement sur la nécessité de fléchir au maximum les jambes en enfonçant la planche sous l’eau et mettre les épaules en avant pour monter le plus rapidement possible sur la planche avec le minimum d’énergie ; on simule la gestuelle plusieurs fois à terre et sur le bateau avec René. Je décide de changer les planches de Benjamin (par un Twin tip plus large de 160X46 plus tolérant) et de René (de manière radicale par un surf Bic bien plus facile que la Trax 45).
Vers 14h40 début de la 2ème séance : même zone de départ et conditions similaires, même ailes pour tout le monde. Chacun gonfle son aile à bord du bateau pendant que je déroule les lignes, puis vérifie, décolle et règle le trim des ailes (puissance max pour les 9m2 et 5cm de repris sur les 11m2). Se succède Benjamin, Anne-Cécile, René puis Fabrice. J’autorise par radio le départ du banc de sable pour le downwind avant le décollage de Fabrice.
Rapidement René fait tomber violemment son aile sur le bord d’attaque qui se dégonfle ; je le préviens par radio que je vais venir la regonfler dés que Fabrice aura décollé et que j’aurais remonté mon mouillage. Environ 5 minutes plus tard, je lui regonfle l’aile, (le bord d’attaque et une latte il me semble, la valve de dégonflage avait sauté, un peu d’eau a dû rentrer dedans, malgré qu’elle soit resté en surface) ; les avants et arrières se trouvent vrillés de manière symétrique, il me le fait remarquer mais je lui dit que ce n’est pas grave : on peut voler comme ça et je le redécolle. Au zénith, il vérifie les commandes puis manipule sa planche pour la mettre aux pieds.
Entre temps, vers 15h20, il arrive la même mésaventure à Anne-Cécile : chute violente de l’aile suivi d’un dégonflage du bord d’attaque. Je la rejoins donc en bateau environ 300m sous le vent de René. Je commence le regonflage de son aile quand j’entends un cri derrière moi, au vent.
Je me retourne et vois l’aile de René en kiteloop avec un bridage avant passant sur l’extrados et coincé dans l’extrémité arrière d’une latte. L’aile tourne rapidement sur elle même à un rythme d’environ 3 secondes/tour en touchant un peu l’eau à chaque rotation. Je crie à la radio de tout larguer, puis fonce en bateau vers lui en laissant l’aile d’Anne-Cécile dégonflée dans l’eau. En moins d’une minute je suis à sa hauteur ; à chaque rotation sa tête part sous l’eau, je le vois se débattre. Je décide rapidement de neutraliser l’aile à l’aide du bateau, le sentant dans l’impossibilité d’actionner les déclencheurs (largueurs).
Cette manœuvre délicate consiste à faire monter le bateau sur tous les fils du kite en passant entre le pilote et l’aile, puis, une fois les fils sous la coque, aller vers l’aile pour la plaquer sur l’eau et arrêter les rotations, stopper le bateau contre l’aile, l’attraper et dégonfler le bord d’attaque, enfin récupérer le pilote à l’arrière du bateau. J’ai dû effectuer 7 ou 8 fois cette manœuvre en 14 ans d’enseignement du kitesurf et c’est toujours très délicat de foncer prés d’un stagiaire avec un bateau et son hélice.
L’aile de René tournait haut, il se déplaçait rapidement par à-coups, il fallait que j’arrive vite sur lui et bien positionné. Je monte sur les fils, arrive trop vite sur l’aile, tente de ralentir en enclenchant la marche arrière, et le moteur cale ; je me jette sur le bord d’attaque mais il manque 50cm. L’aile reprend le vent, pas le temps de redémarrer, René est déjà coincé à l’arrière du bateau tiré par les fils passés devant l’embase du moteur.
Je me précipite à l’arrière, je l’attrape, il est paniqué et semble avoir déjà bu quelques tasses. Je lui demande de larguer, il me répond « je peux pas » et sa tête part sous l’eau. Le kite a repris l’air et tracte le bateau par l’arrière ; avec cette charge, il tourne en ne touchant plus l’eau et a une cadence plus soutenue. Assis sur la plage arrière, je glisse mes doigts dans son casque lui sort la tête de l’eau ; de l’autre main je cherche le largueur mais la pression de la barre sur l’embase maintient la barre bordée à fond empêchant le déclenchement du largueur en poussant ; je percute le leash d’aile que j’aperçois sur son côté droit et commence avec le coude droit à relever le moteur avec le trim électrique directement sur l’embase de manière à libérer les lignes du poids du bateau.
D’un coup on est libéré, je suis projeté à l’eau (mon bateau dérive moteur calé, à moitié relevé, travers au vent), ma main droite sur le déclencheur principal devant sa boucle de harnais, ma main gauche essaie de maintenir sa tête hors de l’eau, je le vois se débattre, chercher son souffle, je suis obligé de m’accrocher à lui pour pousser le déclencheur ; il me semble qu’il est percuté mais le chiken loop toujours en place dans le crochet de son harnais ; la traction est forte d’autant plus que nous sommes deux à être traînés. L’aile tourne vite, parfois sans toucher l’eau ; à chaque rotation alternativement moi ou René avons la tête sous l’eau, je ne comprends pas ce qui coince tout est largué et rien ne bouge. Je décide de tirer sur une ligne pour mettre l’aile en drapeau mais il y a un nombre de tour considérable il me faut me hisser le long des lignes et je ne peux tirer plus d’un mètre ou deux je me rends compte que ça ne marche pas et que pour cela j’ai du lâcher ma main qui tentait de maintenir la tête de René hors de l’eau. A ce moment le chiken loop se libère : ma joie fût brève ; retenu par le leash d’aile que j’avais vu largué, la traction repart de plus belle avec 2 m de lignes en plus. Vus le nombre de tours, le différentiel de longueur entre avants et arrières sensé arrêter l’aile ne peut s’effectuer.
Je ne comprends pas où est bloqué le leash. Je le suis des mains est c’est dans sa boucle de harnais que l’extrémité du leash Cabrinha est coincé. Il me faut le détendre à tout prix pour le libérer. A ce moment, l’aile m’éjecte hors de l’eau à environ 5m de René en nous libérant.
J’estime que l’on s’est fait tirer une bonne minute tous les deux et qu’au total, l’aile a du effectuer 50 rotations en 3 minutes environ.
Je me retourne et vois René face dans l’eau inanimé, je nage vers lui le retourne, glisse son surf (leash accroché a l’arrière de son harnais) derrière ses épaules et commence le bouche à bouche. Au bout d’environ 2 à 3 minutes, il reprend respiration en expulsant de la mousse. Il est toujours inconscient. Je vérifie le pouls à la gorge : normal ; je ne peux pas le basculer sur le coté sinon sa bouche est sous l’eau ; je me dis que dés qu’il va rendre je le basculerai, ma radio toujours autour du cou j’appelle mes stagiaires en leur disant de rester sur place et prévenir les bateaux à proximité :
Fabrice navigue sous le vent, Anne-Cécile est toujours avec son aile dans l’eau proche de moi et Benjamin a mis son aile en vrac 300m sous mon vent, mon bateau dérive à environ 100m sous le vent. Anne-Cécile me rejoint en nageant, me dis qu’elle est médecin, Je passe sur la fréquence de Patrick, un des trois moniteurs qui encadre un groupe à environ 1000m au vent. Je l’entends parler à ses stagiaires, je l’appelle ainsi que ses stagiaires mais je comprends vite qu’il est trop loin et que mon antenne pratiquement dans l’eau ne rayonne pas bien ; de plus nous ne communiquons que très rarement entre moniteurs avec ces radios exclusivement utilisées pour donner des consignes aux élèves. Nous utilisons entre nous des VHF embarquées ou nos téléphones que nous avons toujours à bord du bateau (malheureusement pas toujours autour du cou). Je confie René à Anne-Cécile (empêtrée dans ses lignes) et décide de tenter de rejoindre mon bateau maintenant à 200m sous le vent à plat ventre sur le surf d’Anne-Cécile. Je me rends vite compte que cela va être très long. Je tente de contacter Patrick à la radio régulièrement, le souffle me manque, je rame comme un fou, je demande à Benjamin de se diriger vers mon bateau qui dérive un peu vers lui et de s’accrocher à l’avant de manière à l’orienter face au vent pour ralentir sa dérive ; malheureusement empêtré dans ses lignes, il n’y arrivera pas. J’arrive à sa hauteur épuisé après environ 15 minutes ; Je lance désespérément des appels à la radio vers Patrick dont le groupe se rapproche de René et Anne-Cécile, je fais des signes planche en l’air, Patrick entend que je l’appelle mais c’est trop haché pour comprendre qui l’appelle et pourquoi. Enfin il les trouve sur sa route.
Je vois Patrick hisser à bord René et Anne-Cécile puis téléphoner aux secours, je me dis qu’il est sauvé.
Patrick vient vers moi à environ 400m sous le vent. Je monte à bord et je constate que René ne respire plus et est en arrêt cardiaque. Je l’avais laissé il respirait ! De rage, je me précipite dessus, lui dégage la bouche et entame ventilation et massage cardiaque, pendant que nous rejoignons mon bateau au plus vite, Anne-Cécile me dit que dans l’eau elle n’a rien pu faire. Je vois se dessiner le drame qui nous marquera à vie. Je saute à bord de mon bateau et laisse Patrick, René et Anne-cécile foncer au port en 3 minutes où les secours attendent.
Je ramasse Fabrice très loin sous le vent, et lui annonce le drame qui vient de se dérouler, puis retourne récupérer Benjamin puis surveiller les 4 élèves de Patrick en attendant son retour sur l’eau.
De retour au port, je découvre les pompiers en train d’essayer de réanimer René, peine perdue.